En premier lieu cette affaire de
« Mariage pour tous » est un combat pour la vérité, sans laquelle il
ne peut y avoir ni justice, ni droit, ni vie. Chacun des
« camps » - je n’aime pas ce terme, mais je l’utilise
faute de mieux pour le moment – se réclame du camp de la vérité, de la justice
et du droit.
Les défenseurs du mariage traditionnel,
sans forcément y avoir réfléchi, ont fait le choix du réalisme. ‘‘Veritas
est adequatio rei et intellectu’’ La vérité est l’adéquation de l’intellect
à la chose. Ce sont les choses, c’est le monde qui nous précèdent qui irradient
leur être et c’est nous qui en les assimilant intentionnellement (c’est-à-dire
par la pensée, non par la destruction), devenons ces choses et ce monde et
grandissons en sagesse et en grâce. Cette assimilation se réalise par la
contemplation – le regard méditatif et approfondi sur un objet de la pensée –
et l’imitation. Nous nous grandissons dans la mesure où nous acceptons avec
humilité de nous plier à l’ordre des choses. Elles nous livrent ainsi leurs
secrets et leur puissance que nous sommes alors capable d’utiliser à notre
service. Pour devenir puissant il faut donc d’abord se faire petit, être
humble, reconnaître que nous ne savons pas, que c’est le monde qui sait. Les
progrès des sciences viennent tous d’une contemplation plus approfondie du
réel, d’un regard plus précis et plus attentif qui suppose une interprétation
adéquate de ce qui est vu pour en décrire les mécanismes effectifs.
Les partisans de la ‘‘modernité’’ et du
‘‘progrès’’ pensent au contraire que leur parole peut et doit faire plier la
réalité. Ils revendiquent pour eux, sans forcément s’en rendre compte, le
pouvoir créateur de La parole originelle de la Genèse. Dieu dit… et cela fut.
Mais comme la réalité résiste, qu’elle est têtue, ils la font plier en
changeant les mots, en inventant des mots qui piègent la pensée en suscitant de
fausses oppositions. On invente des termes comme homosexuel et hétérosexuel
pour mettre sur le même plan sémantique des réalités profondément différentes.
On veut en effet avec ces termes faire passer l’idée que les relations
homme-femme, femme-femme ou homme-homme sont du même ordre, qu’elles sont
prédatrices ou au contraire oblatives dans un cas comme dans l’autre.
L’expérience commune étant en effet la relation homme-femme et celle-ci étant
normalement vécue comme donation mutuelle, équiparer les termes revient à
revêtir de ces même caractéristiques la relation entre personnes de même sexe.
Utiliser le terme hétérosexuel c’est donc ratifier une arnaque. D’abord c’est
un barbarisme ; hétéro vient du grec, sexuel du latin. Ensuite hétéro veut
dire différent/extérieur et sexuel veut dire fendu/séparé. Sexe désigne d’abord
la femme, celle qui est fendue, ouverte à la vie. Hétéro-sexuel voudrait donc
dire en rigueur ; différence dans la séparation. Or la relation
homme-femme n’a pas vocation à être une séparation mais une communion dans la
complémentarité dont le fruit est la famille à laquelle renvoient les mots qui
désigne celle-ci : mariage, couple, alliance, foyer, union
conjugale… Avec ces mots tordus, pas d’humilité mais une prise de
pouvoir par le biais du langage. On ne nomme pas, ce qui reviendrait à essayer
de traduire en langage humain la richesse d’un être ou d’une situation, on
novlangue.
C’est donc un combat d’idée, similaire à
celui entre Michel et Lucifer dans lequel on combat à coup d’arguments. Michel
avait gagné en disant ‘‘Qui est comme Dieu ?’’ Aujourd’hui la pensée
moderne revendique une efficacité divine pour sa parole. C’est cette
revendication qui est un des enjeux du débat. C’est pourquoi il faut
faire la grève des mots tordus. Ne pas les laisser passer par nous. Les
utiliser leur donne une légitimité qu'ils n'ont pas. Ignorer les médias qui
utilisent ces mots comme des armes. Les laisser parler dans le vide. Se
débarrasser des télévisions dont les émissions sont de toute façon accessibles
sur Internet en cas de besoin. Ne plus acheter de journaux tout en y acceptant
le cas échéant la publication de textes écrits par nous. En contrepartie
accepter le fait qu’il faille payer l'information le prix qu'elle vaut. On ne
peut se plaindre des conséquences néfastes des maux que nous chérissons comme
disait Bossuet. Donc vouloir une information gratuite et ensuite râler parce
qu’elle est frelatée ou orientée par ceux qui tiennent les cordons de la bourse
c’est contradictoire. Il est par contre vrai que les médias dans notre pays
sont gavés de fonds publics c’est-à-dire de notre argent ; 1,8
milliards d’euros environ soit 10 à 15 % de leur CA. 400 millions d’aides
directe à la presse, 600 millions d’aides indirectes, 80 millions de niche
fiscale aux journalistes, 700 millions à l’audiovisuel public sans compter les
déficits déductibles des impôts pour les grands groupes propriétaires de
médias. Il convient de lutter contre cet état de fait, soit en rendant aux
contribuables le fléchage de cet argent, soit en le supprimant, ce qui serait
assurément meilleur pour tout le monde.
Ce système de subventionnement du discours médiatique doit nous permettre de prendre conscience que c'est une guerre de la vérité contre le mensonge où les partisans du réel sont pour le moment en infériorité intellectuelle, financière et psychologique. Toutefois elle ne se gagnera pas en étant les plus forts, mais simplement en refusant le dialogue avec la tentation, en entrant en dissidence. Affirmer et réaffirmer les faits. Nous ne sommes pas chargés de faire croire à la vérité mais de la dire. Nos actes deviennent ou redeviennent un combat. Les actes moraux, qui engagent le bien et le mal. Pas les actes infra-moraux qui eux doivent juste être le trop-plein de notre moralité, pas sa seule expression. Éteindre la lumière pour faire des économies ou donner sa place dans le métro n'est pas un acte moral, juste une habitude ou une coutume, bonne, mais sans poids décisif puisqu’elle n’a de valeur que vivifiée par une vie morale réelle.
L'action commence donc par la prise de conscience, laquelle est une réflexion approfondie qui informe – donne forme – à l'action. Une action véritable, qui transforme vraiment, ne fait que découler de la contemplation de la vérité. Cette contemplation, cette capacité à hiérarchiser, à discerner l'essentiel de l'accessoire, c'est une des choses auxquelles initient les Veilleurs en offrant un mélange de silence, de temps gratuitement donné, de textes profonds et vrais qui interpellent la conscience. C’est une des façons dont on peut réveiller une conscience assoupie de la torpeur dans laquelle l'hébétude médiatique la maintient.
Toutefois une part de la défaite que nous
ressentons est aussi due à l'oubli de créer de la culture par la création de
vie, laquelle ne peut se faire que reliés à Dieu. A ce sujet le discours de
Benoît XVI aux Bernardins est à la fois lumineux et réconfortant tout en
offrant un modèle concret[1].
Les Veilleurs[2] sont une manière de produire de la culture en
vivant le refus de cautionner le mensonge. Ce refus n'est pas suffisant en soi.
Il ne peut durer que s'il s'enracine dans la recherche et le service de la
vérité qui est à la fois justice et bonté. La vérité sans l'amour ça tue mais
l'amour sans vérité c'est de la gimauve. Cette recherche de la vérité commence
à la maison, dans le travail, avec son banquier, en politique.
Ce réveil n’est que le premier pas. Une conscience, parce qu’elle est
vivante, doit être alimentée et sans cesse stimulée si elle ne veut pas mourir.
Il y a tant de façons de mourir : étouffé par les soucis de l’argent et de
la vie, miné par le désespoir, endormi par la télévision, vendu aux partisans du
mensonge… Dit en d’autres termes il faut sans cesse élargir sa zone de confort,
au prix d’un petit inconfort quotidien. Le signe que les choses vont mal c’est
une conscience qui ne nous interpelle plus, pour laquelle tout est bien et rien
n’est à changer. Car la conscience s’affine en la faisant grandir et elle nous
pousse sans cesse à agir plus et mieux, à mesure que nous gagnons en délicatesse.
La correction fraternelle, aussi bien que l’art de consoler, sont le propre des
orfèvres qui savent faire passer un message à travers un regard, une inflexion
de voix, un petit mot banal. Les messages ainsi transmis et les changements qui
en découlent sont imperceptibles, mais ce sont ceux qui changent le monde, parce
que le monde est fait de ces changements. Personne ne peut voir une fleur ou un
arbre pousser. Pourtant après cinq, dix ou cent jours là où il y avait un simple
bourgeon il y a une plante ou une branche robuste et florissante.
Ce combat pour la vérité se révèle en fin de compte un combat pour être, tout simplement. Contre la vie,
contre l’être, on ne peut rien faire. Ce qui est ne peut être effacé ou
détruit, tout au plus transformé. Dieu lui-même ne peut pas détruire ce qui a
eu lieu car ce serait se renier lui-même. En fait si les modernes ont eu cette
idée que leur parole pouvait changer le réel c’est que certains religieux sont
tombés dans cette tentation avant eux… Le salut ne pouvant venir que de là où
est venu le mal c’est à d’autre religieux de vaincre ce mal par un surcroît d’être
ou dit autrement un enracinement plus profond dans l’être des choses. Ceci ne
peut se faire qu’en vivant consciemment et intensément chaque instant de leur
vie, c’est-à-dire en y consentant pleinement, surtout à toutes les petites morts dont cette vie est
faite.
C’est une recette très simple, mais particulièrement dure à appliquer à chaque
instant. En fait vivre de cette façon rend impossible de commettre le mal
puisqu’on se retrouve confronté à la négation de soi-même, ce qu’on être ne
peut pas faire. Malheureusement la force intérieure nécessaire à une telle
perfection n’existe pas en nous, chacun le sait trop bien par expérience
personnelle. C’est là que la nécessité du salut – de la rencontre avec l’Absolu – se fait jour. Pour vivre vraiment il faut donc commencer par recevoir cette vie
de la part de l’Absolu, de Dieu. Devenant des mendiants de vie on peut alors
donner ce que l’on a reçu et ainsi se faire porteur de vie autour de soi, un
beau résultat pour un chercheur de vérité…